L’histoire des femmes voit le jour en France grâce à Michelle Perrot dans les années 1970. Par la suite, les gender studies se développent et permettent de réfléchir à la place des femmes mais aussi des hommes dans leur ensemble. Au Moyen âge, la femme trouve sa place au foyer mais elle doit aussi assumer un rôle d’intercession quand elle est épouse de roi par exemple. Christine de Pizan, auteure du XVe siècle, guide les femmes dans le rôle de médiatrice. Isabelle de Bavière, épouse de Charles VI se voit prendre la régence et donc jouer un rôle d’intercession dans le conflit entre les Ducs de Bourgogne et d’Orléans.

Les femmes au Moyen Âge 

Les femmes sont objets d’histoire depuis les années 1970 grâce à Michel Perrot¹, puis à l’ouverture des gender studies². Des travaux, essentiellement anglo-saxons, à partir de 1980, ont permis de réfléchir à la place de la femme tout au long de l’histoire. Ces études refusent une vision masculine histoire qui dominait le monde de la recherche jusqu’alors. En travaillant sur le genre, on cherche à retrouver la voix des femmes. Le rôle de la femme au sein de la politique s’affiche et nécessite de poursuivre les recherches en se plaçant dans le contexte de la période étudiée. Pour comprendre comment Isabelle a pu se situer au sein d’un espace aussi masculin que le milieu politique de la fin du XVe siècle, il est nécessaire d’étudier la perception de la femme au Moyen Âge.

Dans la société très croyante du bas Moyen Âge, les écrits de la Bible sont partie prenante de la façon de penser. La religion dirige profondément la vie quotidienne et les mentalités. Le récit de la création de la femme dans la Genèse (2. 7-25) : l’homme est plongé par Dieu dans un profond sommeil et Dieu extrait une côte de l’homme pour créer la femme. Ce récit date du IXe ou Xe siècle, postérieur aux écrits de la Bible. Cette dernière doit la vie au sacrifice de l’homme qui fait don de son corps pour donner vie à un être de sexe différent. La femme, dès la création, doit la vie à l’homme. Une autre version datant du VIIIe siècle, présente un Adam androgyne. La femme provient d’Adam, mais elle est créée en même temps que lui. Pourquoi au Xe siècle a t’il été jugé nécessaire de modifier le précédant texte concernant la création de la femme ? Didier Lett propose qu’Adam ne peut se suffire à lui-même pour se reproduire. Que son être n’est pas capable d’être homme et femme, il lui faut une compagne³. Donc Dieu se voit dans l’obligation de créer la femme et pour cela il faut endormir profondément Adam, afin de prélever la côte. La femme est alors assujettie à l’homme, il est supérieur à elle. C’est l’homme qui est créé à l’image de Dieu et non la femme qui est « simplement » faite par un don humain. La femme est créée pour l’homme et non l’inverse. Si Adam s’était autosuffit, il n’aurait pas été nécessaire de créer la femme. Donc la création de celle-ci découle d’une obligation et non d’un choix. Ensuite, c’est Eve qui croque le fruit défendu et non Adam. Dans cette métaphore de l’acte sexuel, la femme est la tentatrice qui pousse l’homme au péché. Pour se libérer de sa faute, elle est condamnée à donner la vie dans la souffrance. Elle doit se purifier de la faute d’avoir tenté l’homme. La femme doit souffrir en donnant la vie pour se laver du péché de l’acte sexuel qui a engendré le fruit défendu, l’enfant. Si la souffrance de l’accouchement est une punition, c’est aussi une manière pour la femme de se libérer de sa faute. La délivrance porte ce nom pour montrer que la femme est presque purifiée par l’accouchement. Au XVe siècle une femme est exclue de toute activité religieuse jusqu’à ses relevailles, c’est-à-dire quarante jours après l’accouchement. Après cette période, une cérémonie est organisée et elle est bénie afin d’être purifiée et autorisée à reprendre ses activités religieuses.

La différence de physique entre la femme et l’homme au Moyen Âge conduit à des observations sévères par rapport au sexe féminin ; le corps féminin fait parler les médiévaux et la femme n’est essentiellement perçue que par ses fonctions reproductrices. Selon les écrits de Michel de Savonarole, dans son traité de physiogonomie aux alentours de 1450, la femme est un homme mutilé. Elle perd du sang tous les mois dans le cercle privé, car sa vie est dédiée à l’espace privé et domestique. L’homme se sacrifie sur les champs de bataille et c’est de cette manière qu’il saigne. Il saigne en public, il le fait de façon franche et non « en cachette » comme la femme. Il est nécessaire de saigner pour se débarrasser des mauvaises humeurs et l’homme contrairement à la femme, verse son sang intentionnellement pour souligner ses valeurs héroïques, il provoque les saignements, alors que la femme passive saigne en privé avec pour seule utilité de procréer. La femme doit répondre à des canons de beauté qui sont dictés par la littérature. Une belle femme est une femme blonde aux cheveux longs, une peau blanche, un nez fin, des joues roses et des yeux bleus. La femme doit être fine, les bras et les mains d’une grande finesse. Les rondeurs sont mal perçues et les cheveux bruns ne rentrent pas dans les canons de l’époque. Isabelle ne rentrait certainement pas dans ces critères de beauté, vu ses origines italiennes par sa mère, Taddea Visconti. Didier Lett cite un texte du XIVe siècle laissant des conseils de beauté pour choisir son épouse :

« Cherche une femme proportionnée : une tête petite,

La chevelure blonde, mais non teinte au henné ;

Les sourcils écartés, longs, hauts et fort arqués,

Un peu large de hanches ; voilà l’allure d’une dame.

Des grands yeux saillants, colorés et brillants,

Aux cils longs et très clairs, en tout point élégants ;

Les oreilles petites et fines ; observe bien

Si elle a un long cou, c’est ce que les gens aiment.

Que son nez soit effilé, ses dents toutes menues,

Egales et très blanches, et un peu écartées ;

Bien rouges les gencives, les dents un peu pointues ;

Les lèvres de sa bouche rouges et point charnues.

 Que sa bouche soit petite, ainsi, de bonne guise,

Et son visage blanc, non velu, clair et lisse ;

Trouve-toi une femme qui la voie sans chemise ;

Car la forme du corps te dira : ‘Bonne prise’ ».

Au-delà de ces considérations physiques, la femme doit tenir son rôle de maitresse de maison. Elle est, au XVe siècle, l’éternelle mineure qui passe de la tutelle de son père à celle de son époux. Elle est l’éternelle soumise, elle se doit de « représenter » et subir la vie quotidienne au logis, loin de la vie publique ; sa place est dans la sphère familiale, sous la domination masculine. Elle parvient toutefois à se démarquer au sein des Hotels princiers. Le XVe siècle est favorable à une modification de la place de la femme dans certains milieux, et l’Hôtel princier est un espace qui lui permet d’interagir auprès des hommes⁴. Même si les responsabilités sont imputées aux hommes, les femmes sont bien présentes au sein des Hôtels comme celui de Louis d’Orléans. Elizabeth Gonzalez⁵ expose que les femmes permettent aux hommes une ascension sociale au sein de la petite aristocratie. En cette période de genèse de l’Etat moderne, où les princes de sang doivent partager leur pouvoir avec des officiers, les femmes deviennent un élément nécessaire pour l’ascension sociale de certains officiers. La femme devient un enjeu pour le groupe des Marmousets, conseillers de Charles V puis de Charles VI. Les enjeux matrimoniaux permettent de conserver leur rang pour certains. L’exemple de Jean de Coute est édifiant : de simple panetier, il devient chambellan de Charles d’Orléans, fils de Louis, en épousant la fille d’un homme influent à la cour. La femme devient enjeu social qui donne une dépendance masculine non avouée envers elle. Le mariage est aussi l’occasion pour le duc d’offrir des cadeaux et des dons qui rendent son officier dépendant, tel un obligé. La femme d’officier trouve une place auprès du duc tout au long du vivant de son mari, mais elle perd toute légitimité à la mort de celui-ci, si elle lui survit. Son lien avec le duc change et elle passe de l’épouse de l’officier à la veuve qu’il faut protéger. Le duc d’Orléans s’acquitte de cette tâche, mais la veuve de l’officier ne reste qu’un faire-valoir pour le duc, lui permettant de montrer qu’il est un bon serviteur de Dieu.

La femme, bien que vivant dans l’ombre de l’homme, est très utile dans le cas de conflits. Elle est reconnue pour son rôle de médiatrice et Nicolas Offenstadt⁶ cite leurs actions de pacifisme au XVe siècle : « Les hommes reconnaissent les activités pacificatrices de la femme. Il est nécessaire d‘étudier leurs interventions afin de percevoir dans quel contexte leur intercession a été nécessaire. » D’après Nicolas Offenstadt , leur intercession est très présente à la fin de Moyen Âge même si ce n’est pas une activité nouvelle. Il est même compliqué de tenter d’établir une chronologie à ce sujet, mais il est tout à fait envisageable que cette pratique féminine existait déjà pendant l’Antiquité. Le XIVe et le XVe siècles sont traversés par deux guerres et un “Schisme” pontifical, c’est une période violente et difficile qui explique l’intervention des femmes dans la politique. L’intercession est un acte politique, même si ce rôle est joué en arrière-plan. Isabelle de Bavière s’investit dans ce rôle dans le cadre de la guerre civile entre les princes de sang. Elle n’a de cesse de tenter d’éviter les affrontements, et Christine de Pizan lui demande d’intervenir lors de la confrontation, en 1405, entre Louis et Jean. Cette demande montre la double intercession des femmes. Aurell considère que le mouvement d’étatisation de la fin du Moyen Âge exclut la femme des fonctions politiques. Cette remarque reste à nuancer. Isabelle fait figure d’exception, car elle dirige le royaume en son nom, même si c’est une décision royale exceptionnelle et non un fait inscrit dans les lois du royaume. Elle ouvre la porte aux prochaines régentes telle qu’Anne Beaujeu, fille de Louis XI. Il est vrai qu’il ne leur est pas possible de diriger en leurs noms de manière générale, mais leur intercession est reconnue et pas uniquement au sein de l’Etat. Au sein du peuple, les femmes jouent un rôle de médiation. Elles interviennent lors de conflits entre voisins, ou au sein de congrégations par exemple. La Vierge est toujours associée à la femme de paix. Il est peu concevable que la femme puisse jouer un rôle autre que celui de la procréation. Si la femme est une femme de paix c’est parce que la Vierge s’associe à elle. Lorsqu’elles parviennent à obtenir la paix, on considère qu’il s’agit d’un miracle. Le miracle ne peut venir que d’une main divine, donc la femme, en tant qu’être humain, n’agit que par dévotion et non par sa propre conviction. Les femmes qui parviennent à rétablir la paix sont considérées comme des envoyées de Dieu. Nicolas Offenstadt rappelle l’histoire du personnage de Griseldis qui épouse le roi Saluces alors que c’est une femme du bas peuple. « tous à une vois prechoyent que pour le salut de la chose publique ceste dame du ciel leur avoir esté envoyée ». Grideldis qui avait joué en faveur de la paix est assimilée à une envoyée de Dieu. Tania Van Hemelryck s’intéresse à la poésie mariale, lorsque la Vierge est associée à la parole pacifiste des dames⁷. Marie devient un miroir de paix, la sagesse incarnée qui donne son fils à l’humanité pour la sauvegarde de cette dernière. Elle est la médiatrice par excellence, elle a accepté le sacrifice suprême de son fils pour le bien de tous. Elle est donc la figure par excellence de la paix. La femme est associée à l’image de la Vierge. Le XVe siècle développe la pacification autour du culte marial. Jean Gerson, dans un sermon, s’adresse à la Vierge : « vous estes le throne de grace, Vierge mère très digne, le trosne sans guerre vicieuse ». La paix s’incarne dans le corps féminin et la Vierge est la figure de référence pour appuyer cette action de paix. Christine de Pizan écrit dans le livre des trois vertus, une partie qui se consacre à la sagesse des princesses⁸ :

Ce devise comment la sage princesse ou dame se pourra de mettre la paix entre le prince & les barons s’il y a aucun discord. chap. VIII

« Ou s’il advient cas que aucun prince voisin ou estranger vueille mouvoir guerre pour aucune chalange a son seigneur ou que son seigneur la vueille mouvoir a autruy la bonne dame pesera moult ceste chose en pensant les grans maulx et infinies cruaultés pertes occision de pays et detraction de pays & de gens qui a cause de guerre viennent a la fin que souventesfois en est merveilleuse / & advisera de toute sa puissance se elle pourra tant faire en gardant l’honneur de son seigneur que ceste guerre puisse estre eschevee & en ce vouldra travailler et labourer songnousement en appellant Dieu a son ayde et par bon conseil & tant fera si elle peut que voye de paix sera trouvee »

 

Selon Christine, la dame doit présenter à son prince ou son seigneur les grands méfaits de s’engager dans une guerre afin de le dissuader. La dame doit lui rappeler qu’il est question d’honneur et que s’il perd cette guerre il sera considéré comme un prince indigne. La princesse doit toujours œuvrer pour la paix et Christine n’hésite pas à prendre Blanche de Castille mère de Saint-Louis comme exemple afin d’appuyer ses propos. Elle rappelle que la femme est molle et humide ce qui est l’opposé de l’homme qui est de feu. Ainsi elle argumente le fait que la femme est nécessaire et qu’elle complète l’homme. La femme s’affiche ici comme la médiatrice de paix sans qui les guerres seraient continues. La femme est sage et sa présence auprès de lui sert à le pacifier.

La notion de conciliation féminine s’inscrit dans le prolongement de la métaphore de la femme guerrière. Les femmes combattaient dans l’Antiquité ou bien encore dans les sociétés nordiques⁹, mais la femme chrétienne médiévale ne combat pas avec les armes, à part quelques exceptions, telle Jeanne d’Arc qui marque son époque. Elle transgresse l’ordre social, s’attribue une fonction masculine¹⁰. Le glaive des dames est la parole et non leur action sur le champ de bataille. Jeanne d’Arc outrepasse l’ordre social et les accusations qui la mènent au buché sont plus justifiées par la présence d’une femme conquérante dans une armée que par la sorcellerie. Orderic Vital au début du XIIe siècle considérait que la femme avait sa place sur le champ de bataille puisque, dans la société médiévale, elle devait défendre les biens du couple au même titre que son mari si celui-ci est absent. Toutefois peu le pensent et la femme, considérée molle et fragile, a sa place au foyer et son accès au combat pour la paix passe par la parole. Il est plus connu de femmes conciliatrices que de femmes combattantes. La parole considérée, dans le cas des conciliatrices, comme le pouvoir des faibles¹¹ reste une nécessité dans une fin de Moyen Âge très tourmentée. Elle est un régulateur social.

 

1. Christiane KLAPISH-ZUBER (dir.), Histoire des femmes en Occident. 2, op. cit., 2002. [↩]
2. Pauline GANDRÉ, « Les sciences », op. cit., 2012, p. 52‑58. [↩]
3. Didier LETT, le genre au moyen Âge, op. cit., 2013. [↩]
4. Elizabeth GONZALEZ, « L’officier, sa femme et le duc. Place et rôle de la femme au sein d’un hôtel princier », in Françoise AUTRAND, Claude GAUVARD et Jean-Marie MOEGLIN (dir.), Saint-Denis et la royauté : Études offertes à Bernard Guenée, Éditions de la Sorbonne, Paris, coll. « Histoire ancienne et médiévale », 2019, p. 157‑168. [↩]
5. Ibid. [↩]
6. Nicolas OFFENSTADT, « Les femmes et la paix à la fin du Moyen Âge : genre, discours, rites », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, no 1, vol. 31, 2000, p. 317‑333 [https//doi.org/10.3406/shmes.2000.1797] [↩]
7. Tania VAN HEMELRYCK , « La femme et la paix. Un motif pacifique de la littérature française médiévale », op. cit., 2006, p. 243‑270. [↩]
8. Christine de Pizan Le trésor de la cité des dames de degré en degré et de tous estatz, op. cit., 2012. [↩]
9. Martin AURELL. Les femmes guerrières (XIe et XIIe siècles). Martin Aurelle ; Thomas Deswarte. Famille, violence et christianisation au Moyen Âge ; mélanges offerts à Michel Rouche, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, pp. 319-330, 2005, 2-84050-360-3. ffhalshs-01420433f [↩]
10. Claude GAUVARD, Jeanne d’Arc : héroïne diffamée et martyre, Gallimard, Paris, coll. « Des femmes qui on fait la France », 2022. [↩]
11. Nicolas OFFENSTADT, « Les femmes et la paix à la fin du Moyen Âge : genre, discours, rites », Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, n°1, vol. 31, 2000, p. 317-333, [https//doi.org/10.3406/shmes.2000.1797]. [↩]

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