Étudiante en deuxième année de master d’histoire contemporaine, je travaille sur le sujet « Les enfants de l’assistance sociale franquiste : étude visuelle sur la protection, l’endoctrinement et l’enfermement (1939-1952) » sous la direction de Sylvie Aprile. Dans le cadre de mes études, j’ai eu l’occasion de faire un stage à La Contemporaine autour du projet d’exposition « Enfants en guerre : guerre à l’enfance ? De 1914 à nos jours ».  Je vous propose dans cet article de vous présenter l’offre culturelle autour de ce projet réunissant historien.ne.s,  chercheur.euse.s  et médiateur.rice.s culturelles.  Je remercie de nouveau Anne Tournieroux, co-commissaire d’exposition, pour son accueil mais aussi pour la riche documentation qui m’a servi à rédiger cet article, constitué à partir du dossier de presse et des textes de l’exposition.  

 

 

La Contemporaine, bibliothèque, centre d’archives et musée des mondes contemporains à Nanterre inaugure le 20 novembre 2024, journée internationale des droits de l’enfant, l’exposition « Enfants en guerre, guerre à l’enfance ? de 1914 à nos jours ». Jusqu’au 15 mars 2025, près de trois cents pièces issues des importantes collections de la Contemporaine mais aussi de prêts français et internationaux y explorent les expériences enfantines en temps de guerre depuis le début du XXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Ce projet est sous le commissariat d’exposition d’Anne Tournieroux, bibliothécaire chargée de formation et d’action culturelle à la Contemporaine, et de Manon Pignot maîtresse de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Picardie-Jules Verne et spécialiste de l’expérience enfantine de la guerre et de la Première Guerre mondiale.  

 À la question “que fait la guerre aux enfants ?” du mal parait être la seule réponse adéquate. L’actualité montre en effet comment les guerres du XXe affectent les civils et tout particulièrement les enfants, victimes, si ce n’est cibles à part entière des conflits contemporains. Mais les enfants sont aussi des acteur.rice.s de l’histoire, les conflits pouvant devenir pour eux un temps d’émancipation et d’opportunités.  

 L’exposition s’articule autour du double point de vue de l’histoire ou des histoires des enfances en guerre : « par en haut » à travers les articles de presse, les brochures, les photographies émanant notamment des politiques de mobilisation d’État, et « à hauteur d’enfant » à travers des lettres, des dessins et des témoignages. Les sources produites par les enfants témoignent de la diversité des conflits et des expériences enfantines qu’ils suscitent. 

La scénographie, confiée aux scénographes et graphistes Martin Michel et Costanza Matteucci, plonge le spectateur dans ce monde des guerres enfantines, en rentrant dans un espace occupé par un jeu de cube. Le parcours de l’exposition invite à découvrir les grands thèmes de l’exposition : mobiliser, expérimenter, cibler et sortir de la guerre… 

 

Mobiliser et instrumentaliser 

La première section du parcours témoigne de la manière dont, depuis 1914, les gouvernements belligérants cherchent à mobiliser de manière symbolique les jeunes générations. Les principaux vecteurs de cette mobilisation sont alors l’école, les jeux, les jouets, la presse et la littérature de jeunesse, soit tout ce qui constitue l’univers enfantin qui se trouve rapidement contaminé par le patriotisme et la haine de l’ennemi. Les enfants deviennent aussi les producteurs de ce discours de propagande. Dans leurs écrits, dans leurs dessins, transparait une forme d’intériorisation des codes et des images dont ils sont abreuvés.   

Affiche d’auteur inconnu, La jeunesse allemande… La jeunesse soviétique, s.l., 1940-1944 © Coll. La Contemporaine, AFF30338-28. 

 

Cette section, en s’appuyant sur les images de propagande et du culte de la personnalité des régimes autoritaires, questionne ainsi la notion d’instrumentalisation.  Enfin, dans ce premier espace de l’exposition, une sous-section renvoie au phénomène des enfants soldats. 

 

Expérimenter 

 

Photographie de Thérèse Bonney, Deux petits enfants passent devant un char renversé dans un village en ruines, Ammerschwihr (France), 1944- 1945 © Coll. La Contemporaine, PH_AUT_0003_100./ The Regents of the University of California, The Bancroft library, University of California, Berkeley. 

La seconde section, « Expérimenter » montre comment depuis 1914, un très grand nombre d’enfants ont aussi été confrontés au bouleversement total de leur vie quotidienne, tant sur le plan matériel que sur le plan émotionnel. C’est dans leur espace le plus intime que beaucoup d’enfants vont l’expérimenter.  Le démantèlement de la structure familiale, la perte du foyer, la destruction des lieux-repères comme la maison ou l’école, la découverte de la faim et de la soif sont autant de marqueurs de cette bascule dans l’ordinaire de la guerre. Cette section se penche également sur les « violences de guerre » et montrent comment les enfants expérimentent la guerre parfois jusque dans leur chair avec les blessures d’obus et les amputations. A ces blessures s’ajoutent d’autres formes de violences extrêmes tels que l’usage du viol et de la faim comme des armes de guerre. 

Cibler  

L’exposition consacre une section particulière au génocide, expérience irréductible des guerres. Les violences génocidaires, en visant notamment les enfants, ambitionnent littéralement de les effacer, en faisant disparaitre non seulement les corps mais aussi l’identité́, la culture, les héritages dont ces derniers sont les porteurs. Cette section invite le spectateur à réfléchir à l’écriture de l’histoire et de la mémoire des génocides à hauteur d’enfants, à partir de travaux scolaires, mais aussi de dessins ou de témoignages des survivants. 

Sortir de la guerre 

Après la Première Guerre mondiale, l’impact et les conséquences du conflit suscitent des débats sur le statut des enfants dans le droit international en construction. La Déclaration de Genève de 1924 amorce une série de textes menant à la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) en 1989. Bien qu’imparfaite face aux situations de guerre, cette législation rend compte d’un intérêt croissant pour la protection des enfants dans les conflits. Ainsi, la dernière section illustrée par une impression sur un mur d’un dessin d’enfant représentant la paix et l’espoir, revient sur les formes d’institutions et de législations visant à protéger les enfants au sortir de la guerre. Cet espace permet de réfléchir également à la notion de république d’enfants, ces lieux d’accueil et d’éducations crées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale par l’Organisation des Nations Unies.  

 

Le catalogue d’exposition 

Le catalogue d’exposition dirigé par Manon Pignot et Anne Tournieroux, réunit les contributions de 13 chercheur.euses (Bruno Cabanes, Manon Crélot, Parand Danesh, Hélène Dumas, Lydia Hadj-Ahmed, Laura Hobson Faure, Allan Kaval, Célia Keren, Anouche Kunth, Camille Lecuyer, Camille Mahé, Marie Rose Moro et Nicolas Patin) autour des quatre sections de l’exposition. Le dos de couverture résume cette recherche novatrice :  

 « L’actualité nous le rappelle : l’une des spécificités des conflits des XXe-XXIe siècles est de faire des civils des cibles à part entière. L’enjeu de ce livre est d’articuler le point de vue des enfants à celui des adultes, c’est-à-dire l’expérience enfantine de la guerre vis-à-vis des discours et injonctions émanant des adultes, des États en temps de conflits. Du génocide arménien à la dictature argentine, des deux guerres mondiales à l’Ukraine, de la guerre d’Algérie à Gaza… L’histoire et l’actualité nous le rappellent : l’une des spécificités des conflits depuis le début du XXe siècle est de faire des civils, et des enfants en particulier, des cibles à part entière. L’ambition principale de ce livre, et de l’exposition qu’il accompagne, est d’articuler le point de vue de ces derniers à celui des adultes, autrement dit l’expérience enfantine de la guerre à la production de discours et d’injonctions émanant des adultes, des États en temps de conflits. Dès lors, il s’agit également d’accepter d’aller plus loin que l’évidence première, en dépassant le seul statut de victimes, et de réfléchir aux opportunités d’émancipation, aux capacités d’action que le temps de la guerre peut représenter pour certain·es enfants et adolescent·es. L’enjeu, enfin, est de montrer que la guerre n’est pas traumatisante en soi, la diversité des expériences enfantines le montre, et donne du même coup leur juste place aux expériences traumatiques et paroxystiques. Rassemblant les contributions originales des meilleur·es spécialistes et s’appuyant sur une iconographie riche et variée, cet ouvrage présente ainsi une recherche qui se situe au carrefour de plusieurs champs historiographiques et disciplines. Une synthèse amenée à devenir référence. » 

 

Programmation culturelle (en cours d’actualisation)

Mardi 19 novembre 2024 18h30 : Vernissage et visite guidée par les deux commissaires d’exposition 

Mercredi 20 novembre 2024 18h-20h : L’exposition vue et présentée par Muriel Eglin, présidente du tribunal pour enfants de Bobigny 

Mardi 3 décembre 2024 : projection d’un film documentaire suivie d’un débat dans le cadre des « Rencontres cinéma et sciences humaines » de Nanterre.  

Samedi 25 janvier 2025, après-midi : journée d’étude en partenariat avec l’association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG).  

Mercredi 29 janvier 2025 – 16h : Projection du film d’animation Le Tombeau des lucioles, d’Isao Takahata (Studio Gible, 1998) 

Mardi 5 février – 18h : L’exposition vue par Louis Witter, photoreporter 

Mercredi 12 février 2025 : table ronde en partenariat avec l’agence de photoreporters MYOP.   

 

Pour aller plus loin …

Intéressée par l’histoire des enfants et particulièrement par l’histoire des enfants dans l’après-guerre, je vous propose une bibliographie, non exhaustive, de lectures sur l’enfance en guerre au XXème siècle.  

 

Audoin-Rouzeau, Stéphane. « Enfances en guerre au 20e siècle : un sujet ? » Vingtième siècle (Paris. 1984) no 89, no 1 (2006) p37. 

Boussion, Samuel, Mathias Gardet, et Martine Ruchat. L’Internationale des républiques d’enfants. Hors collection. Anamosa, 2020. 

Cabanes, Bruno. « Naître ennemi. Les enfants de couples franco-allemands nés pendant la Seconde Guerre mondiale ». Revue Historique 312, no 2 (654) (2010). p48385. 

Hobson Faure, Laura, Manon Pignot, et Antoine Rivière. Enfants en guerre : « sans famille » dans les conflits du XXe siècle. Paris. CNRS éditions, 2023.

Pignot Manon. La guerre des crayons : quand les petits Parisiens dessinaient la Grande Guerre. Paris. Parigramme, 2004. 

Pignot, Manon, Farid Ameur, Gilles Bataillon, Quentin Deluermoz, Agnès Devictor, Charlotte Lacoste, Alejandro Martin Rabinovich, Nicholas Stargardt, et Laure Wolmark. L’enfant-soldat, XIXe-XXIe siècle: une approche critique. Le fait guerrier. Paris. Armand Colin, 2012. 

Sierra Blas, Verónica, Christine Rivalan Guégo, et Raquel Thiercelin-Mejías. Paroles orphelines : les enfants et la guerre d’Espagne. Rennes. Presses universitaires de Rennes, 2018. 

 

 

YVONNE RENAULT

M2 histoire des sociétés modernes et contemporaines dans les mondialisations

Sous la direction de Sylvie Aprile

---

---